Entre renforcement des pays émetteurs et découplage politique, un avenir des négociations climatiques incertain
Une partie des pays du « Sud global », pourraient contester l’analyse en indiquant que la population des pays de l’OCDE (1,38 milliards d’habitants) ne représente que 17% de la population mondiale, pour 32% des émissions, et qu’un effort particulier de réduction doit y être maintenu, voire augmenter. Cela est en partie vrai, avec toutefois des nuances géographiques : un Américain, un Canadien ou un Australien émet en moyenne trois fois plus de CO2 que la moyenne mondiale, deux fois pour un Allemand ou un Japonais. La France fait figure du meilleur élève des pays de l’OCDE, avec un bilan carbone par habitant correspondant à la moyenne mondiale.
l n’en reste pas moins que même avec un effort significatif des pays de l’OCDE, la lutte contre le réchauffement climatique ne peut se faire sans une contribution significative des autres pays, responsables de 62% du total des émissions. Il est remarquable que 6 des 10 pays composants le nouveau format des BRICS (Chine, Russie, Iran, Arabie Saoudite, Émirats Arabes Unis et Afrique du Sud) ont des émissions par habitant supérieures à 1,5 fois la moyenne mondiale, et supérieures à des pays comme la France, le Royaume-Uni, l’Espagne ou l’Italie. [11]
L’analyse des émissions de CO2 par pays illustre néanmoins bien la difficulté d’aboutir à un consensus entre pays dont la sensibilité et la contribution au réchauffement climatique est fortement variable. L’accumulation de crises géopolitiques depuis l’Accord de Paris en 2015 traduit l’amorçage d’un nouveau cycle de tensions, avec en point d’orgue l’affrontement entre les États-Unis et ses alliés du G7 et la Chine et son allié Russe. Avec une relation bilatérale sino-américaine au plus bas et une tentation au découplage économique, accélérée par la guerre en Ukraine et l’IRA américain, il apparaît difficile d’esquisser un accord ambitieux et contraignant au niveau mondial, ces deux pays étant les deux principaux contributeurs aux émissions de gaz à effet de serre.
De nombreux pays parmi les plus émetteurs, c’est le cas des États-Unis comme des membres des BRICS, connaissent actuellement une dynamique de réaffirmation de leur puissance face aux traités internationaux, et de méfiance vis-à-vis de leurs rivaux géostratégiques. Faire des efforts pour le climat n’apparaît ainsi pas comme une priorité, au risque de s’affaiblir. C’est le principe du dilemme du prisonnier en théorie des jeux : si l’optimum peut être atteint par la coopération de tous les joueurs, il requiert une confiance mutuelle, tandis que la non-coopération, en priorisant les intérêts personnels de façon rationnelle, engendrant un résultat global moins bon. [12][13]
Dans le contexte actuel, et malgré la prise de conscience d’une partie des opinions publiques, notamment en Europe, et malgré les efforts de la communauté scientifique, il n’existe pas de consensus mondial pour traduire en actes [14] l’objectif de limitation du réchauffement à 2°C, et encore moins à 1,5°C.
Le « consensus » majoritaire en œuvre dans la plupart des pays, notamment en développement, est plutôt le droit à polluer pour continuer la croissance, dans un environnement mondial de plus en plus compétitif. Compte tenu de la répartition géographique des émissions de CO2 et en l’absence d’une révolution culturelle dans les pays du « Sud global » en faveur du climat, les négociations politiques semblent aujourd’hui vouées à l’échec, n’étant plus une méthode efficace pour réduire, puis sortir de l’usage des énergies fossiles.
En l’absence d’horizon politique, la seule porte de sortie au défi climatique du XXIème siècle serait alors économique.
En faisant en sorte que les technologies bas-carbone, nucléaire et renouvelables deviennent des facteurs de compétitivité et un facteur d’attractivité pour les pays qui les adoptent, il serait alors possible de marginaliser le charbon et les hydrocarbures aux seuls pays producteurs. Une nouvelle révolution industrielle, tout comme la première avait balayée au XIXème siècle, grâce à la machine à vapeur, la force humaine et l’esclavage par utilité pratique plus que par consensus géopolitique. Si cet horizon demeure encore lointain, il est le seul encore capable d’acter la sortie des énergies fossiles face au blocage politique d’aujourd’hui.