L'Europe de la défense

Le 09/09/2023

Dans Les articles du CSI

Comment l'Union Européenne redéfinit-elle sa stratégie de défense dans un contexte de multipolarité et de retour de la guerre de haute intensité ?

Rédigé par : Nicolas GUILBERT & Ghislain MAINGAUD

 

L'article en quelques mots :

Face à des enjeux de défense bousculés dans un contexte marqué par la Guerre en Ukraine, l'incertitude quant aux conflits de demain et le réarmement massif des Etats, l'Union Européenne doit repenser sa stratégie de défense.

Quelle est la légitimité de l'Union sur les questions de défense ? Quel est son rôle dans la gestion des crises extérieures ? Comment coordonne-t-elle son réseau de coalitions ? Ce sont tant de questionnements qui nous intéresseront dans cet article.

Europe de la defense

Le monde est en train de vivre une bascule stratégique majeure qui voit les équilibres et les règles qui avaient prévalu depuis 1945 remis en cause sur tous les plans. Depuis la guerre du Donbass, du Haut-Karabakh, et plus récemment la Guerre en Ukraine, les nations occidentales se préparent à nouveau à vivre des conflits violents à proximité de leurs frontières. Dans ce contexte, l’Union européenne endosse de nouvelles responsabilités et cherche à redéfinir ses moyens et capacités d’action. Alors que certains souhaitent une “Europe de la Défense stricto sensu”, sous l’impulsion de la France afin d’éviter une “vassalisation” des Etats-Unis, d’autres plaident, sous l’impulsion du Royaume-Uni, en faveur d’une Union strictement économique relayant les questions militaires sous le prisme de l’OTAN, et par voie de conséquence, des Etats-Unis..

Or, depuis le discours de la Sorbonne tenu en 2017 par le Président de la République française Emmanuel Macron et le début de la Guerre en Ukraine, nous assistons à une évolution significative de la considération des fonctions de l’Union européenne en termesde défense. Beaucoup considèrent désormais que l’Europe doit se doter d’une force commune d’intervention, d’un budget de défense commun et d’une doctrine commune pour agir. En ce sens, la mise en place d’un Fonds Européen de Défense dont le montant alloué est de 7,9 milliards d’euros pour la période 2021-2027 doit permettre aux industriels européens du secteur de la défense de travailler sur des projets communs et de renforcer l'interopérabilité des systèmes. Par ailleurs, certains vont jusqu’à vouloir doter l’Europe d’une force commune de protection civile pour assurer la sécurité dans toutes ses dimensions. C’est à nouveau l’une des grandes lignes directrices dont Emmanuel Macron a tenu à se porter garant.

Face aux enjeux actuels, dans un contexte de multipolarité et de retour de la guerre de Haute Intensité, comment l’Union européenne redéfinit-elle sa stratégie de défense ?  

L’Union doit faire preuve de sa capacité à être une interlocutrice compétente en matière de sécurité et de défense internationale :

Pendant plusieurs années, l’approche américaine vis-à-vis des acteurs de la sécurité européenne était claire : les questions militaires et stratégiques étaient négociées au sein de l’OTAN, tandis que l’on cherchait à se coordonner avec l’Union Européenne sur les questions de gouvernance, de stabilité et de développement. Ces dernières années, le débat concernant la complémentarité ou la concurrentialité de l’Union européenne et de l’OTAN en matière de défense divisait les experts. Le débat semble en partie clos par la Guerre en Ukraine. Si celle-ci nous invite à repenser notre stratégie de guerre commune, elle incite également à une prise de conscience d’un éventuel engagement dans une guerre armée de Haute Intensité..

A la suite du forum de sécurité qui s’est tenu en 2022 entre les États-Unis et l’Union européenne, Bruxelles fait l’objet d’une valorisation importante par la puissance américaine. Si l’Union a d’ores et déjà joué un rôle important pendant les négociations de l’accord sur le nucléaire iranien ou pour la stabilisation des crises dans son voisinage, le forum de sécurité entre Washington et Bruxelles a fait de cette dernière une interlocutrice prisée sur une multitude d’enjeux de sécurité et de défense. Toutefois, s’il faut considérer les Etats-Unis comme des alliés, il ne faut pas compter pour autant sur leur soutien indéfectible : ces derniers favoriseront toujours leur souveraineté à la cause commune.

Alors que les États-Unis se focalisent sur l’Indopacifique, l’Union européenne devra démontrer sa capacité d’agir dans son voisinage et de mener des opérations de gestion de crise:

Avec le retrait des États-Unis d’Afghanistan, l’administration Biden met un terme à une longue période de leadership américain des opérations extérieures et des interventions militaires. Alors que les États-Unis coordonnaient les opérations militaires et stratégiques, les Européens assuraient stabilité et soutien logistique aux États-Unis. L’arrivée au pouvoir de l'administration Biden a fait réaliser aux Européens le « pivot vers l’Asie » et le caractère prioritaire de la compétition avec la Chine. Ces éléments sont devenus dominants dans la nouvelle doctrine de politique étrangère des États-Unis.

Si les États-Unis ont historiquement joué un rôle dans la stabilisation militaire, notamment en Libye ou en Syrie, le retrait des soldats américains de ces territoires met en évidence le fait que Washington considère la Méditerranée et l’Afrique du Nord comme un pré-carré de l’Europe — et par conséquent comme une zone où les Européens devraient davantage s’engager, notamment sur le plan militaire. Il est ainsi fortement probable que les efforts de stabilisation soient davantage confiés aux Européens dans les années à venir.

En ce sens, la task force Takuba est un exemple d’augmentation de la présence des troupes européennes sur le territoire afin d’organiser un hypothétique retrait des soldats français. Avec un risque latent d’irruption d’autres crises sécuritaires dans le voisinage Sud européen, que ce soit en Libye ou en Bosnie, les Européens doivent s’apprêter à renforcer leur engagement et leur présence militaire pour la stabilisation des crises dans leur voisinage.

Dans ce contexte, le plus grand défi de l’Union consiste à définir son rôle dans la gestion des crises au-delà de la stabilisation des États fragiles, à l’instar de l’Ukraine. Néanmoins, il semble probable que les questions liées à la défense collective seront abordées avec nos partenaires américains et britanniques au sein de l’OTAN, d’où la nécessité d’une coopération étroite entre les deux Institutions.

De nouvelles coalitions des pays compétents et volontaires marquent la pensée stratégique de l’Union

Bien que compliquées, les relations entre la France et l’Allemagne restent cruciales pour faire avancer l’Union européenne. Néanmoins, ces dernières années ont montré un gain d’importance d’autres pays membres de l’Union dans ce domaine. L’Italie a impulsé, sous le gouvernement Draghi, une dynamique pour renforcer ses partenariats, comme en témoignent le traité du Quirinal avec la France signé en novembre 2021, ou encore les discussions trilatérales entre Paris, Rome et Berlin qui se sont tenues mi-décembre 2021. Il est alors probable que ces pays continueront de renforcer leurs efforts pour peser dans les décisions sur la sécurité et la défense européennes.

Toutefois, nos voisins britanniques ne doivent pas être négligés. Alors qu’a eu lieu très récemment le 36ème sommet franco-britannique qui réaffirme l’amitié entre Paris et Londres, la France, au profit d’une sorte de passion assumée envers les Allemands, a souvent déconsidéré ses partenaires anglais. Pourtant, les divergences ne manquent pas (SCAF, investissement de 100 milliards d'euros dans des équipements américains, etc.).

Le Royaume-Uni, seule puissance européenne avec la France à maitriser la production de sous-marins, est toutefois confronté à une problématique de taille qui limite ses relations avec la France. L’équipement de leurs systèmes de combat est dépendant de l’industrie américaine et soumis à l’International Traffic in Arms Regulations (ITAR) grâce auquel les Américains s’arrogent un pouvoir de confirmation des frappes armées britanniques. Par ce biais, ils sont aujourd’hui investis sur les questions de sécurité européenne.

Alors que nous pouvons difficilement nous reposer sur nos traditionnels alliés, l’émergence des nouvelles coalitions des pays européens se manifeste dans les contributions militaires à la task force Takuba, une unité composée des forces européennes spécialisées et complètement intégrées dans la mission française Barkhane. Si cette force est constituée en dehors des structures institutionnelles de l’Union, elle augmentera les capacités d’interopérabilité et pourra, sur le moyen terme, promouvoir l’émergence d’une culture stratégique commune des pays participants. Qu’il s’agisse d’accords ou d’opérations communes, et que ces dernières aient lieu au sein ou à l’extérieur des structures de l’Union, les priorités stratégiques au sein de l’Union s’en voient directement impactées.

Les auteurs :

Nicolas guilbert

Nicolas Guilbert

“Président du Cercle de Stratégies et d'Influences”

Etudiant en troisième année de double-licence d'Histoire et de Science Politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et préparationnaire des concours de la haute fonction publique. Fort de ses expériences dans le monde politique et de son engagement associatif, il veille à ce que le Cercle de Stratégies et d'Influences devienne un influent laboratoire d'idées profitant au plus grand nombre.

 

Ghislain maingaud

Ghislain Maingaud

“Délégué Général du Cercle de Stratégie et d'Influences”

Etudiant en troisième année de double diplôme de Sciences Politiques et d'Economie. Ses expériences associatives, professionnelles et académiques ont façonné ses compétences dans le domaine des Affaires Publiques et de la Défense, en se spécialisant sur les relations franco-italiennes et l'Afrique.

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