Perspectives stratégiques d'une Armée résiliente et soutenable

Le 23/10/2023

Dans Les articles du CSI

Quelle stratégie pour gagner la guerre avant la guerre et être prêt au combat de haute intensité ?

Rédigé par : Ghislain MAINGAUD & Margot ANDRIOLLO

 

Introduction : 

En inaugurant le retour de la guerre sur le sol européen, le conflit russo-ukrainien a éveillé les consciences sur les questions telles que la place de la France dans l’OTAN, la pertinence d’une défense européenne et l’élaboration d’un modèle d’armée soutenable.

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En 2019, le président de la République Emmanuel Macron effectuait un sévère constat en qualifiant l’état de l’OTAN en « mort cérébral ». 

L’organisation semblait anachronique à l’heure où un conflit de Haute-Intensité paraissait peu crédible.

Toutefois, l’agression russe du 24 février 2022 a bouleversé ce monde. 

L’OTAN : un souffle retrouvé

Par son caractère inédit – nombre de troupes mobilisées, moyens numériques mis en place, violence sur les civils – cette agression a surpris l’Occident en lui rappelant sa fragilité. En l’absence d’institution européenne de Défense, l’OTAN est apparue comme le seul « outil » à la disposition de l’Occident pour soutenir l’Ukraine face la Russie. Toutefois, la réponse de l’OTAN ne doit pas être totale au sens Clausewitzien. Il n’est en effet pas dans l’intérêt de l’Occident « d’humilier la Russie » et de détruire ses cœurs économiques et sociaux mais plutôt de seulement permettre à l’Ukraine de retrouver sa souveraineté territoriale. L’humiliation ou la destruction de la Russie déstabiliserait en effet gravement notre continent, ce qui n’est dans l’intérêt de personne. 

L’OTAN a donc retrouvé un nouveau souffle avec ce conflit. L’agression Russe a fait prendre conscience aux pays non-alignés l’importance de l’Organisation – à l’image de la Finlande. Bien que ce conflit fédère l’Ouest autour de la défense de l’Ukraine, il révèle les réalités d’un monde changeant dont le centre de gravité n’est plus euro-centré. Nombre de pays du Sud ont en effet refusé de signer la condamnation de la Russie à l’ONU et sept pays ont même voté contre (dont le Mali), illustrant l’influence de la Russie. Par ce refus, Bamako prouve que ses partenaires ne sont plus ceux d’autrefois. Il convient donc de ne pas fixer notre attention sur l’Ukraine car V. Poutine progresse rapidement (et subtilement !) en Afrique.

Face à ce constat, la France doit jouer son rôle de puissance d’équilibre dans l’OTAN. Plutôt que de diluer ses efforts dans la construction d’une Défense Européenne (qui n’a d’ailleurs jamais profondément mobilisé ses voisins européens), il est important qu’elle fasse entendre sa voix pour agir de manière pragmatique et coordonnée. Bien que la création du Fond Européen de Défense témoigne de la volonté de Bruxelles de soutenir l’industrie de défense européenne, les Etats membres s’obstinent à faire « cavalier seul » : la conception d’un char franco-allemand est à l’état de projet, le SCAF est dans une impasse et les Italiens, Anglais et Japonais souhaitent développer conjointement un avion de combat du futur. Ces ambiguïtés se retrouvent même au sein d’alliances, bien que spécialement conçues pour rapprocher les États : alors que la société franco-italienne NAVIRIS, détenue à 50/50 par Fincantieri et Naval Group, vise à rapprocher la France et l’Italie dans le domaine maritime, les deux constructeurs navals demeurent de sérieux rivaux sur le marché européen !

Ainsi, l’OTAN demeure la seule institution, bien que sous influence de Washington, à apporter une réponse efficace à court terme. S’il est en effet vrai que les Etats-Unis manifestent un intérêt grandissant à l’égard de l’Asie du Sud Est, il semble peu probable qu’ils se retirent de l’Europe – berceau historique, politique et culturel des États-Unis (inutile de rappeler des figures telles que Lafayette, …). L’idée d’un désintérêt américain à l’égard de l’Europe ne semble donc plus être à l’ordre du jour, le nombre de militaires américains déployés en Europe ayant d’ailleurs retrouvé un niveau similaire lors de la Guerre Froide.     

Certes, l’Europe de la Défense permet à Bruxelles de gagner en indépendance et en souveraineté technologique mais, la réponse militaire la plus adéquat reste américaine (l’Europe n’a jamais acheté autant d’armes aux Etats-Unis qu’aujourd’hui). L’Europe de la Défense demeure un projet à long terme, à la condition des États membres d’accepter un marché militaire commun et de cesser les velléités nationales.

La recherche d’un modèle d’Armée résiliente et soutenable

La guerre en Ukraine a conduit la France à revoir sa posture en se réarmant et en abandonnant ses positions pacifistes. Le format actuel de l’Armée, longtemps habitué aux opérations extérieures, manque d’épaisseur pour faire face aux menaces de Haute-Intensité. La nouvelle Loi de Programmation Militaire constitue toutefois une rupture dans la politique de Défense au regard des dernières années en affichant un investissement inédit. Allouant 413 milliards d’euros aux Armées sur six ans, elle vise à garantir la crédibilité de la dissuasion nucléaire (notamment avec la construction d'un porte-avions nucléaire remplaçant le Charles-de-Gaulle) et à transformer les armées dans un environnement stratégique menaçant.

La guerre en Ukraine a par ailleurs montré que les conflits de Haute Intensité peuvent avoir des taux d’attrition importants. Nous avons en effet constaté que, malgré des modes opérationnels surprenants, la Russie parvenait à remplir ses missions à bas coût (achat à l’Iran de drones kamikazes bas de gamme, envoie sur le terrain de tanks technologiquement dépassés, …). L’Ukraine a quant à elle démontré l’efficacité de certains équipements de combat improvisés, peu chers et productibles rapidement (kayak kamikazes, drones fabriqués à la hâte …). Ainsi, si la technologie offre un avantage certain dans plusieurs domaines, force est de constater que la « masse » et la « débrouille » permettent de répondre rapidement et à bas cout à certains besoins opérationnels. Il est donc important de tirer les enseignements de ce conflit et d’adapter les capacités de nos Armées afin de ne pas se lancer dans une compétition aux matériels le plus sophistiqués (et donc chers et difficilement utilisables), mais plutôt le plus adéquat au type de guerre auquel nous faisons face.     

Au-delà des considérations capacitaires, les ressources humaines sont celles qui présentent en réalité le plus de défis. La France rencontre pour l’instant moins de difficultés de recrutement que d’autres nations occidentales, mais ces difficultés sont patentes pour certaines spécialités, en particulier dans la marine. 

Vouloir « gagner la guerre avant la guerre » requiert une attention particulière aux évolutions de notre monde. Ceci ne peut être fait que par une analyse du conflit russo-ukrainien et des opportunités offertes par l’intelligence artificielle. Nous l’avons bien compris, une nouvelle façon de faire la guerre émerge. Les forces armées qui maitriseront cette technologie se doteront d’un avantage opérationnel majeur, disqualifiant les nations moins préparées. Après des décennies de guerres asymétriques, les opérations de Haute Intensité doivent faire leur retour dans le débat public. L’objectif est bien d’éviter la guerre, mais ceci n’est possible que si l’on se donne les moyens de ne pas la faire. 

Les auteurs :

Ghislain maingaud

Ghislain Maingaud

“Délégué Général du Cercle de Stratégie et d'Influences”

Etudiant en troisième année de double diplôme de Sciences Politiques et d'Economie. Ses expériences associatives, professionnelles et académiques ont façonné ses compétences dans le domaine des Affaires Publiques et de la Défense, en se spécialisant sur les relations franco-italiennes et l'Afrique.

Photo margot andriollo

Margot ANDRIOLLO

“Chargées de missions au CEPS”

Margot ANDRIOLLO a suivi un parcours académique international, étudiante à l'HEIP à Lyon, à Londres, en Corée du Sud puis à Paris, où elle a obtenu un poste en tant que Chargée de missions au CEPS. Ses activités journalistiques et associatives, ayant notamment participé à la création d’Agora Nostra, reflètent son désir de contribuer de manière significative à la société ainsi qu’à la compréhension des enjeux internationaux.

Perspectives stratégiques d'une Armée résiliente et soutenable

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