La Défense globale, de quoi parle-t-on très concrètement ?

Le 09/09/2023

Dans Les articles du CSI

L'éventualité d'une nouvelle guerre est aujourd'hui pleinement envisageable.

Rédigé par : Nicolas GUILBERT

Un article rédigé en collaboration avec le Centre d'Etude et de Prospective Stratégique (CEPS)

La défense globale

Quelle est la stratégie de la Commission de la défense nationale et des forces armées, acteur phare de la défense globale en France ?

La Commission de la défense nationale et des forces armées est une commission permanente de l'Assemblée nationale française et une instance importante de contrôle, de suivi des politiques publiques de défense, et de conseil auprès du gouvernement sur les questions de défense et de sécurité nationale. Le rôle de la commission est trop souvent oublié derrière l’action du ministère des Armées.

Sur la XVe législature, alors que le Président de la République ne bénéficie que d’une majorité relative, les Commissions font l’objet d’efforts importants en termes de conciliation des intérêts diverses des différents groupes politiques. 

La Commission a, entre autres, vocation à rappeler que la défense est l’affaire de tous – ce qui comprend notamment des visites régulières aux forces armées auxquelles sont conviés les citoyens - ; et à promouvoir les intérêts français à l'international, notamment à travers le renforcement des relations interparlementaires de défense.
 

Ce dernier point repose sur quatre grands objectifs

-    Promouvoir les projets européens ;
-    Concourir à la convergence des cultures stratégiques avec nos partenaires ;
-    Développer l'influence française en Europe et dans le monde ;
-    Renforcer nos leviers de communication stratégique.

Hormis en 1870, la France a toujours fait la guerre au sein d'une coalition ou a minima avec quelques alliés. Nous avons donc besoin d’entretenir nos relations avec nos alliés en allant au contact de nos partenaires, d’où l’envoi régulier de délégations parlementaires à l’étranger. Il y a cette idée que quand des parlements se parlent entre eux, ce sont des représentations de la nation qui se rencontrent, et par voie de conséquence les peuples.

Si la prise de connaissance de ces trois piliers est essentielle à la bonne appréhension des politiques menées en termes de défense sous cette XVème législature, la Commission ne manque pas d’être fragilisée par de profondes fractures. Tous les groupes politiques sont aujourd’hui alignés sur la nécessité d’un effort budgétaire : tous les députés – ou presque – semblent aujourd’hui avoir intégré que le monde se réarme-il que la France a tout intérêt à faire de même. 

Toutefois, nous pouvons identifier quatre lignes de fracture principales : 

-    La première ligne de fracture, aujourd’hui en partie résorbée, est celle de la dissuasion nucléaire. Avant l’examen de la LPM (loi de programmation militaire) a été mis en place pour les députés de la Commission un cycle sur la dissuasion nucléaire avec l’audition, entre autres, du Chef d'État-major des Armées, de la DGA ou de l’évêque aux armées. 

-    Un deuxième sujet, plus clivant, est la question des alliances, notamment l'OTAN et l'Union européenne et leurs appartenances. Ce sujet s'est manifesté l'été dernier lors du vote de la ratification du projet de loi d'adhésion de la Suède et de la Finlande à l'OTAN, sur lequel la Commission s'est exprimée. 

-    Une troisième ligne de fracture importante repose sur les exportations d'armement.

-    Enfin la quatrième ligne de fracture que nous pouvons identifier est l'organisation des institutions. Si la majorité présidentielle semble convaincue du fait que la Constitution française est un atout militaire stratégique par la capacité pour le président de la République d'engager très rapidement la force, ce point de vue ne fait pas l’unanimité.

Si la Commission semble donc fracturée de l’intérieur, ce qui nuit au bon déroulement de la stratégie commune, elle peut trouver un allié de marque dans le Sénat. Sous la précédente législature, seul face à la majorité présidentielle, le Sénat avait réussi à tenir son rôle de contre-pouvoir sur les questions de défense alors que le Président Cambon maintenait une certaine pression sur l'exécutif, confirmant son rôle constitutionnel d’organe de contrôle de l'action du gouvernement. Sous la législature actuelle, le contexte est différent et la tendance est plus à la concertation entre les deux Présidents de Commissions au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ils échangent de manière constante et coordonnent leurs actions, notamment l’envoi de délégations parlementaires, ce qui envoie un signal positif à l’international.

De nouveaux moyens pour une ambition réévaluée ? 

La modernisation des équipements, la gestion des personnels, l'augmentation des effectifs et le renforcement de la cyberdéfense sont confrontés à des besoins en financement colossaux. Pour y répondre, le Président de la République avait promulgué le 13 juillet 2018 la Loi de programmation militaire 2019-2025 qui prévoyait un effort financier de 295 milliards d’euros pour réparer et moderniser les armées. La situation géopolitique actuelle en Europe mais aussi dans le monde, ainsi que la position particulière de la France (ZEE, Territoires d’outre-mer…) mettent cependant en lumière la nécessité d’une augmentation bien supérieure du budget des forces armées. 

Confronté à cette situation, le Président Macron soulignait le 20 janvier dernier que « nous devons avoir une guerre d’avance », et annonçait un montant de 413 milliards d’euros dans le cadre de la LPM 2024-2030, un montant inédit depuis les années 1960. Si les parlementaires et les ministres insistent sur le poids de ce budget, les experts rappellent que dans un contexte de forte inflation et au regard des objectifs fixés, ce budget s’avère encore insuffisant. 
Rappelons un point important : un investissement de défense produit une double prospérité :

- Il sécurise le climat des affaires et pérennise l’industrie de défense. 
- Il est porteur d’un coefficient multiplicateur fiscal de deux en dix ans

Par ailleurs, l’investissement militaire favorise l’innovation. Aujourd’hui, le quantique, les intelligences artificielles et la « dronisation » de notre armée sont des sujets stratégiques, sur lesquels il est nécessaire de s’assurer une pleine souveraineté, qui ne s’atteindra que par un soutien financier conséquent, pour l’innovation dans l’industrie de défense.

De nombreux acteurs dénoncent aujourd’hui le décalage entre les besoins exprimés par les armées et leur compréhension par la DGA (Direction générale pour l’Armement), cette dernière faisant preuve d’une incapacité traditionnelle ou historique à se concentrer sur les circuits courts et le petit matériel. Il semble nécessaire dans le contexte actuel, que les start-ups et petits fournisseurs, soient soutenues, pour faire émerger un champion Français dans un domaine stratégique, tel que les drones par exemple.

Doit-on commencer à se doter des moyens d’une guerre de haute intensité ? La France en a-t-elle les moyens ?

Avant de parler de haute intensité, il faut que l’on sache de quoi on parle. Dans un rapport d’information présenté par les députés Patricia Mirallès et Jean-Louis Thiérot, la haute intensité est définie selon cinq facteurs :

-    Un brouillard des intentions, comme nous l’avons vécu avec la Russie six mois avant le déclenchement de l'offensive. 
-    Fin d'un relatif confort opératif (perte de notre suprématie territoriale sur terre et mer).
-    Une forte attrition en homme et en matériel. Pour rappel, en Ukraine, c'est 25.000 obus qui sont tirés chaque jour (soit l’équivalent de la production annuelle de Nexter). 
-    Une incertitude quant à la durée de la confrontation et à la victoire militaire. 
-    Une population civile à la fois victime et instrument de la guerre. 

La fragilisation actuelle de l'ordre international, la montée en puissance de nouveaux acteurs régionaux, l'extension du domaine de la conflictualité dans l’espace et dans les fonds-marins, le chantage migratoire, la guerre informationnelle ou encore le développement des cyber-attaques, sont tant de facteurs démontrant la nécessité d’augmenter le budget des forces armées. 

En ce sens, la nouvelle LPM annonce quatre objectifs principaux :

-    Le renforcement de notre souveraineté dans le champ de la dissuasion et de la résilience.
-    La préparation à la haute intensité. 
-    La défense des espaces communs, fonds-marins et cyberespace. 
-    Le renouvellement des partenariats ainsi qu’une montée en puissance en matière d’influence. 

Sur les 413 milliards (mds) prévus, près de 30 mds seront absorbés par l'inflation. 5 mds seront consacrés à la défense sol-air, 5 mds aux drones, et 2 mds pour les forces spéciales. 
Par ailleurs, un autre objectif est de doubler le nombre de réservistes ainsi que les budgets de la DRM (Direction du renseignement militaire) et de la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense).

Le contexte géopolitique actuel met un lumière un problème de taille auquel notre société est confrontée. Les populations civiles ne connaissent que très mal les sujets militaires, et face à un monde qui se réarme, il est important de réussir à développer une conscience collective au sein du peuple français, concernant les enjeux stratégiques et militaires auxquels nous sommes et allons être confrontés. 

Pour se préparer au mieux, il est important de renouer les liens entre civils et militaires, de définir quelle est la mission derrière, quel est l’ennemi, quelles sont nos faiblesses. Il faut donc cibler nos besoins, en répondant à ces questions :

-    Notre volume en termes de forces conventionnelles est-il aujourd’hui suffisant pour engager le dialogue stratégique, le crédibiliser, éviter son contour ? 
-    A-t-on aujourd’hui la crédibilité suffisante pour commander une coalition ? 
-    Peut-on compter sur la dissuasion nucléaire pour protéger nos territoires d’Outre-Mer ?

La LPM bride les capacités de notre défense globale. Aujourd'hui, les personnels de la défense, du ministère des Armées, de la BITD (Base industrielle et technologique de défense) et des autres institutions similaires représentent à peu près 1,5% de la population active française. Cette LPM n’arme donc que 1,5% de la population. Toutefois, si la guerre en Ukraine nous a bien rappelé quelque chose, c’est que si ce sont les armées qui font la guerre, ce sont les nations qui les gagnent. C’est donc toute la population qu’il faut associer à l'effort de défense : les pouvoirs publics, le secteur privé, le monde associatif, les collectivités territoriales, tous nos concitoyens de manière générale. 

Pour ce faire, la LPM repose sur cinq messages : 

-    Investir dans la défense, c'est sécuriser durablement la croissance.
-    Notre puissance de dissuasion n’atteindra ses objectifs que si tous les concitoyens la comprennent et soutiennent ses fondements techniques, stratégiques et politiques. 
-    Il est aujourd’hui nécessaire de proposer une offre stratégique rénovée.
-    Le doublement des effectifs de la réserve est essentiel afin de procurer des capacités humaines suffisantes à notre défense et constituer un levier d’action bien plus important. 
-    Si les objectifs d’augmentation des effectifs de la réserve sont atteints, c’est 100.000 réservistes de plus que nous devrons être en capacité d’équiper.

Comment répondre à une démarche de plus en plus cadencée et quelles options retenir en termes d’efficacité entre la technologie d’avant-garde et la rusticité ? 

Avant toute chose, rappelons que la France est l’un des rares pays à pouvoir s’appuyer sur l’intégralité du spectre de défense : nous sommes d’un point de vue militaire une grande puissance mondiale et disposons sur notre sol des grands groupes mondiaux que sont Airbus, Dassault, Thales, Safran ou encore Naval Group. 
Nous regroupons également quelques 4.000 entreprises, soit 200.000 salariés et 8 milliards d’euros de contributions positives à la balance commerciale. Le dernier rapport du SIPRI annonce que dans dix ans nous pourrions potentiellement dépasser les Russes. 

Il est maintenant nécessaire de mieux nous organiser industriellement pour que l'effort de guerre soit possible. Il s’agit donc de :

-    Réorganiser la BITD pour que les cycles soient plus courts dans la production, et ce sur tous les équipements. Nexter a commencé à le faire avec le Caesar : nous sommes passés de 44 à 18 mois pour produire un canon. 

-    Relocaliser la production des filières de production de poudre, d'armes légères individuelles, etc.

-    Augmenter les stocks de précaution en matières premières (composants, produits semi-finis). 

-    Raffermir les partenariats. 

-    Assouplir les contraintes du droit de la commande publique, du droit du travail, et du droit de l'environnement (Safran n'a pas aujourd’hui le droit de tester ses drones dans l'Hexagone, ces essais se déroulent donc en Finlande. Il est urgent de simplifier les procédures…). 

Par ailleurs, concernant l'articulation entre la technologie et la rusticité : c’est l'éternel débat entre la technologie et la masse. La guerre en Ukraine nous a démontré que notre manière de combattre dans nos dernières interventions (comme au Mali) ne serait pas soutenable dans un contexte de haute intensité (détruire un pick-up à 10.000 euros avec des missiles à 100.000 euros n’est pas soutenable économiquement, dans un contexte de haute intensité). Le rustique, moins cher et plus facile à produire, peut tout aussi bien réaliser certaines missions qu’un équipement sophistiqué et beaucoup plus cher. Il s’agit donc de trouver le juste équilibre entre rusticité et sophistication, notamment en se reposant sur la masse et en considérant la technologie comme un accélérateur de puissance. 

Notons également que les équipements de technologies de pointe demandent un savoir-faire très particulier. On ne forme pas les personnels de la même manière selon l’outil déployé. 

Les auteurs :

Nicolas guilbert

Nicolas Guilbert

“Président du Cercle de Stratégies et d'Influences”

Etudiant en troisième année de double-licence d'Histoire et de Science Politique à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et préparationnaire des concours de la haute fonction publique. Fort de ses expériences dans le monde politique et de son engagement associatif, il veille à ce que le Cercle de Stratégies et d'Influences devienne un influent laboratoire d'idées profitant au plus grand nombre.

 

CEPS

CEPS

“Centre d'Etude et de Prospective Stratégique”

Le Centre d’Étude et de Prospective Stratégique (CEPS) est un organisme indépendant qui a pour objectif de cerner, d’analyser et de mettre en perspective les facteurs d’évolution technologiques, économiques et financiers du monde contemporain afin d’accompagner aussi bien les entreprises, les institutions que les États à relever le défi d’une interdépendance respectueuse des souverainetés, et créatrice de valeur.

 

La Défense globale

Taille : 1.04 Mo

Télécharger